COMMENT ÉCRIRE UNE NOUVELLE (article 3)
RÉSUMÉ
Dans les deux articles précédents j’ai évoqué des généralités sur la manière dont j’écris, et invoqué l’imagination qui sans cesse me tarabuste.
Vous l’aurez sans doute remarqué si vous avez l’habitude de me lire : j’écris de manière linéaire. Il n’y a en général qu’un seul trajet. C’est un peu particulier à la Nouvelle et c’est sans doute pour cette raison que j’aime tellement en écrire.
Dans la musique cette manière est appelée le genre rhapsodique : la musique va, la composition est linéaire, il n’y a pas retour en arrière, pas de thème qu’on reprend, pas de forme spécifique en trois mouvements par exemple, bien séparés et définis, comme est la « forme sonate » qu’on utilise dans … la sonate bien entendu, mais aussi dans la symphonie.
Quand je composais plus souvent de la musique j’aimais beaucoup ce type d’écriture, qui laisse l’imagination voguer, aller toujours de l’avant.
Il en est de même dans mes textes, plutôt courts : on commence à un point pour arriver à un autre. Sans dévier de la route. Je pense que cette manière est plus ou moins inadaptable au roman, qui demande tout de même une certaine structuration.
Ce qui sans doute définit au moins en partie mon écriture c’est la poésie. Je ferai un autre article, plus tard, pour expliquer ce que j’entends par poésie. J’ai déjà produit celui-ci : « Comment écrire de la poésie ».
Cliquez ici pour le lire : COMMENT ÉCRIRE DE LA POÉSIE
Rappel : l’image de départ était celle-ci. Un morceau de verre qui brille sur des pierres noircies. J’ai déjà inventé plusieurs débuts d’histoires dans les articles précédents.
Et comme je n’aime pas revenir sur mes pas je vais en inventer une autre.
INVENTER UNE HISTOIRE
La photo me montre à voir plusieurs dualités.
– La nature (les pierres) / l’artificiel (le verre artefact humain)
– Le gris sale et terne / le propre et brillant du verre
– l’aspect grenu, irrégulier des cailloux / le lisse du verre
– La petite pierre blanche à gauche… / … qui fait pendant au tesson de verre
– …
Je déduis de cela qu’il sera peut-être intéressant de proposer une histoire faisant état d’une dualité, d’une opposition quelle qu’elle soit.
Il y a aussi une autre dimension : la présence de ce tesson est assez incongrue. Il fait passer de sa seule présence ce tas de pierres informe et peu attirant au statut d’écrin. Et la question se pose, qui vient immédiatement à l’esprit : que fait-il là ?
C’est simple : un vieil ivrogne marginal vivait au fond de cette ancienne carrière, dans une cabane de planche. Il posait des collets, rapinait un peu ici ou là, vivait de rien et surtout de gros vin rouge qu’un paysan lui vendait à bas prix. Un jour en fouillant il trouva une caisse en bois, l’ouvrit. Dedans des papiers, qu’il brûla, quelques objets, qu’il jeta derrière lui, et une bouteille, qu’il but sans savoir ce que c’était. Dans une lueur au fond de son esprit il trouva la bouteille jolie et la garda. La seule ! Elle devint son trésor. Un autre jour d’ivrognerie il la cassa. Désespéré il parti loin et on n’entendait plus parler de lui.
Un peu plus de six lignes. C’est peu, mais l’histoire est très simple. Mais c’est écrit d’un seul jet.
RACONTER, ÉCRIRE, PEAUFINER
Il est rare que j’écrive tout cela avant de commencer. En réalité je commence plutôt par décrire le vieil ivrogne, directement en rédigeant, puis les choses s’enchaînent. J’aboutis alors à cette histoire… ou à une autre !
Le premier choix sera celui du sujet. A la troisième personne ? Il faudra donner un nom au bonhomme. A la première personne ? Le vocabulaire sera différent. Très différent. Aujourd’hui je choisis la troisième personne. Et j’appelle mon personnage Jean-Lucas. Pas certain que je citerai ce nom dans le récit mais j’ai quand même besoin de savoir un peu de qui je parle !!!
Au début :
« un vieil ivrogne marginal vivait au fond de cette ancienne carrière, dans une cabane de planche. »
C’était dans une ancienne carrière de calcaire, abandonnée depuis trente ans peut-être. La pierre y était de mauvaise qualité : en quelques mois elle passait d’une jolie couleur blanche à une espèce de gris sale. Elle ne servait plus que de lieu de dépôt de gravas et débris de démolition.
On va améliorer :
Au fond de la Haute Saintonge, une région plutôt belle mais assez peu peuplée, dans un coin de verdure où les buddleyas poussent spontanément, égayant de leurs grandes fleurs mauves les couleurs parfois un peu brûlées de la végétation, une dépression signale une ancienne carrière. On y accède en pente douce d’un côté, pour aboutir à une falaise artificielle qui est le fond de la carrière.
L’amélioration est significative, mais pas encore assez peaufinée. On va remplacer quelques mots, afin que cela soit plus précis et travaillé.
« Fleurs » va devenir « inflorescences ». Déjà le mot sonne beaucoup plus joli, et notamment parce qu’il est moins commun et va donc attirer plus l’attention du lecteur, ensuite… parce que le Buddleyas fait réellement plutôt des inflorescences que des fleurs !
A la place de « plutôt belle mais assez peu peuplée » je vais réécrire, en inversant certains termes. « Dans la belle région de Haute Saintonge, aux villages épars et aux vastes zones où les habitants sont rares ».
Je vais ajouter quelques précisions :
« … en pente douce d’un côté, longeant un petit étang asséché en été, simple mare éphémère, peu profonde au mieux de sa forme, où viennent boire à la saison les lapins et les sangliers. De petits chemins agréables en faciles escalades de buttes de pierres laissées pour compte, l’odeur des marjolaines qui poussent un peu partout vous accompagne en vous mettant dans la tête des parfums de vacances ou de voyage. Il y a plusieurs chemins mais tous mènent au même endroit : une falaise de roche grisée, encore blanches à quelques endroits, falaise artificielle qui n’est autre que l’endroit où l’on s’est arrêté de creuser »
Je vais ajouter « abrités » à « quelques endroits ». Sinon, pourquoi y aurait-il des places encore blanches ?
L’emploi de « vous » est ambigu, volontairement. Si je laisse les verbes en l’état ce « vous » est général, il veut dire « tout le monde », moi (le narrateur) compris. Mais si je change le temps du verbe : « … un peu partout vous accompagnera en vous mettant… » En passant au futur j’implique le lecteur. Je suggère que peut-être un jour lui-même passera pas là. Ou pas, et dans ce cas on reste à la connotation généraliste de « vous ».
Mais je n’ai pas terminé le travail sur ma première phrase. Il manque le bonhomme. Et j’améliore encore quelques mots.
« Dans la belle région de Haute Saintonge, aux villages épars et aux vastes zones où les habitants sont rares, dans un coin de verdure où les buddleyas poussent spontanément, égayant de leurs grandes inflorescencesmauves les couleurs parfois un peu brûlées de la végétation, une dépression signale une ancienne carrière. On y accède en pente douce d’un côté, longeant un petit étang asséché en été, simple mare éphémère, peu profonde au mieux de sa forme, où viennent boire à la saison les lapins et les sangliers. De petits chemins agréables en faciles escalades de buttes de pierres laissées pour compte, d’amas de pierres qu’on pourrait croire agencés en buissons épineux aux feuilles luisantes ou ternies, l’odeur des marjolaines qui poussent un peu partout vous accompagne en vous mettant dans la tête des parfums de vacances ou de voyage. Il y a plusieurs chemins mais tous mènent au même lieu : une falaise de roche grisée, encore blanches à quelques endroits abrités du feuillage des arbres surplombant le sommet de la falaise, falaise artificielle qui n’est autre que l’ancien front de taille de l’extraction. Là vit un vieil ivrogne dans une cabane en planches« .
La description de l’endroit est plutôt agréable, bucolique, et la brutalité de la dernière phrase, celle qui présente le bonhomme, tranche brutalement avec ce qui précède. C’est dans le but de faire une rupture, d’éveiller une attention, peut-être une curiosité, et d’établir le contraste entre ce coin charmant et la dépravation de l’occupant.
Au passage, « vieil ivrogne » laisse un doute : est-ce l’homme qui est vieux ou bien est-ce son ivrognerie ?
Nous sommes passé d’une petite ligne à quatorze lignes. Sans trop fouiller puisqu’après tout il s’agit d’une nouvelle, un texte court. J’aime bien que ces nouvelles n’excèdent pas quelques pages. Mon début de texte est peut-être un peu caricatural, un peu trop « mignon », bien sûr. D’aucuns diraient peut-être « gnan-gnan », c’est d’ailleurs ce que je pense peut-être et peut-être que dans la situation d’écrire vraiment une nouvelle à partir de cette photo, j’aurais écrit autrement tout en gardant la même histoire. Sûrement.
C'EST MAINTENANT À VOUS
Je ne vais pas aller plus loin dans cette histoire, vous avez forcément compris. J’ai volontairement commencé dans une extrême simplicité puis j’ai complété amélioré, diversifié mon vocabulaire et mes formules ou ma syntaxe. Mais quand j’écris tout cela se fait automatiquement. Et ma base de départ est la dernière version ci-dessus après les améliorations que je vous ai partagées. Ce paragraphe « amélioré » n’est que le premier jet, celui que j’écris avant travail. A partir de ce point je commence à travailler. Ou pas si je suis satisfait de la première version.
A la fin, le texte sera plus « littéraire » encore. C’est un choix, j’aurais pu en faire un autre. Je pourrais écrire plus simplement, avec un vocabulaire plus immédiat, aller directement à l’essentiel ; mais je n’aime pas. J’aime perfectionner, peaufiner, polir mes phrases, sculpter chaque proposition. C’est ma façon, à moi propre, mon idiosyncrasie. Car ce que j’aime lire est de même matière…
J’espère que ces quelques mots concernant ma façon d’écrire vous ont intéressé. Je les ai écrits non pas pour démontrer un savoir-faire (le lecteur n’en a cure) mais pour montrer que la voie n’est peut-être pas si difficile, que tout un chacun peut y arriver… avec travail, attention, et amour de la langue, bien entendu.
Dans le premier chapitre j’ai parlé de la règle des « trois C ». Je ne remercierai jamais assez la personne, écrivain elle-même, qui me l’a offerte. Mais je n’oublierai jamais non plus cette jeune professeur de français de ma classe de seconde au lycée, qui nous appelait à faire des exercices d’écriture. Des exercices avec des règles très strictes, très contraignantes, qui pouvaient nous apprendre à maîtriser la langue et son maniement. Il y a plus d’un demi-siècle et je me souviens d’elle comme si c’était hier. Elle n’était pas beaucoup plus âgée que nous, était la fille du censeur du lycée. Son nom avait une consonance allemande (je m’en souviens avec précision) et, jolie, elle ressemblait en effet aux belles allemandes. Mon expérience, bien des années plus tard, m’incita à penser qu’elle était de famille bavaroise. Elle avait de grands yeux et les cheveux blonds assez courts et il émanait d’elle une joie de vivre et une force animale tranquille. Je la remercie encore aujourd’hui de m’avoir donné ce goût et surtout ce goût de travailler la technique de l’écriture.
Pour être sincère, je suis persuadé d’avoir été le seul de ses élèves à m’intéresser aux exercices qu’elle nous donnait !
A vous, maintenant. Si vous l’envie d’écrire vous prend vous avez déjà quelques pistes pour vous améliorer ou pour aller plus loin. Ou pas si vous détestez mon style, ce qui est fort possible !
P.S. EXERCICES
Le premier exercice donné par cette jolie et intelligente professeur était : « décrivez le voyage depuis votre lit, au milieu de la nuit lorsque vous vous levez,dans le noir complet, jusqu’à l’interrupteur qui vous donnera la lumière ».
Il fallait le faire une fois en utilisant des adjectifs, une fois en utilisant des substantifs. Mais bien sûr en disant exactement la même chose !
Exemple :
– « j’avance dans le noir en sentant sous ma main le mur rugueux »
– « J’avance dans le noir en sentant sous ma main la rugosité du mur ».
J’ai ajouté ensuite des contraintes, beaucoup de contraintes, énormément de contraintes, de tous ordres. Et j’ai fait des exercices pendant longtemps, des années. Et parfois encore.
A vous !
N’oubliez pas de laisser un commentaire si vous avez aimé, ou si vous avez une question à poser.
Henri-Pierre Juguet