COMMENT ÉCRIRE UNE NOUVELLE (1)

COMMENT ÉCRIRE UNE NOUVELLE (article 1)

Une Nouvelle à ma façon, bien sûr… Une Nouvelle qui illustre une photo, une de mes photos. J’écris aussi différemment, bien sûr, parfois avec un simple mot pour point de départ.

Quelques mots, empruntés au vocabulaire de la rhétorique, ne vous seront peut-être pas familiers. Il y a une explication en fin d’article…

D'ABORD, UNE PHOTO

D’abord il me faut une photo.

Je cherche dans tout ce que j’ai fait, j’en trouve une qui me plait ou m’inspire ; par son rythme, ses couleurs, son sujet, par les idées qu’elle me donne, les mots qu’elle m’évoque et qui me viennent immédiatement.

L’angoisse de la page blanche ? aucune idée de ce que c’est ! Je pense même qu’il ne faut pas que cela existe. On ne peut pas être devant « la page blanche ». Si on n’a rien à mettre dessus… alors on va faire autre chose ! Les mots, les phrases, les idées, viendront tout seuls pendant qu’on a d’autres occupations. Si aucune idée ne vient, peut-être devrait-on faire autre chose qu’écrire ?

Pour la suite c’est de la technique, c’est elle qui prendra le pas.

Comme pour jouer d’un instrument, comme pour pratiquer le saut à la perche, comme pour sculpter la pierre ou pour faire un jardin magnifique : il y faut une réelle technique. Ecrire, cela s’apprend aussi, le maniement de la langue comme la narration. Cet aspect là est malheureusement tellement souvent oublié au prétexte qu’on a « appris à lire et à écrire » quand on était enfant…

(au passage, je peux proposer un coaching qui n’est pas du tout un « atelier d’écriture ». M’en parler dans le « formulaire de contact » si vous êtes intéressé : https://henripierrejuguet.com/contact/ )

Voilà, pendant ce temps j’ai choisi une de mes photos.

A première vue elle représente un simple morceau de verre cassé qui brille au soleil, posé sur un tas de pierres noircies.

Peu d’éléments ! Tant mieux : je vais pouvoir inventer des choses, beaucoup de choses, parce qu’à partir d’un seul point on peut partir dans toutes les directions ! C’est une des raisons qui m’a fait la choisir mais possiblement pas la principale. La principale… c’est que j’aime bien cette photo dans les tons froids !

CE QUE LA PHOTO POURRAIT M'INSPIRER

Cette image ne montre finalement que deux éléments, cela simplifie tout. Le débris de verre, les pierres. Mon choix de départ est simple : parler des pierres, parler du verre. Ou peut-être des deux ? On verra par la suite.

Les pierres sont d’une espèce de calcaire très blanc mais de mauvaise qualité, qui noircit en quelques mois au contact de l’air. Il devient gris foncé, noirâtre, comme sale et taché. D’aspect franchement peu engageant. La photo est prise dans une carrière abandonnée. Pourquoi ces pierres ont-elles été mises en ce tas informe ? Cette question, qu’il est légitime de se poser, va entraîner d’insondables conséquences, parce qu’elle est l’étincelle qui fera démarrer le moteur de l’imagination. De la mienne mais peut-être aussi de la vôtre ?

Je peux imaginer que ces pierres sont des restes, des rebuts, que le carrier les a considérées comme des déchets et oubliées à cet endroit après un passage de bulldozer qui les a écartées. Parce qu’il n’en avait pas la vente, parce qu’elles gênaient, parce qu’elles ne pouvaient avoir aucune utilité. Parce qu’il en avait assez de les voir traîner sur le passage…

Mais je peux aussi imaginer qu’elles ont été poussées à cet endroit parce qu’elles constituaient le début d’un plus gros tas, une réserve de remblais de consolidation d’un sol pour construire une maison. Le carrier est mort d’un accident de chantier avant d’avoir terminé ce travail. Il n’y avait personne pour reprendre l’entreprise, l’unique employé -un homme déjà âgé- ne désirant pas ou n’ayant pas les capacités de le faire. Alors tout est resté là. Le carrier était divorcé depuis quelques années, son ex-épouse on ne savait pas où elle était et puis elle n’était plus rien dans cette histoire, ils n’avaient pas eu d’enfants, le carrier n’avait plus aucune parentèle ; fin de l’histoire pour ces pierres. Il n’est pas difficile, en détaillant sans délayer, de tirer quelques pages de cette histoire. Mais aussi elle peut bifurquer. Quand on parle de l’épouse divorcée on peut l’imaginer coulant des jours tristes loin d’un mari qu’elle n’a jamais pu oublier. Remariée, elle avait de nouveau divorcé. Elle a appris par d’anciens amis communs (peut-être une ancienne maîtresse du mari ?) le décès. Elle quitte son métier et sa région, elle avait gagné suffisamment d’argent (il serait intéressant de savoir comment) et rachète à la commune qui en a hérité la carrière. L’endroit est plaisant, la végétation commence à y revenir, elle décide d’y construire un petit complexe hôtelier original : « les Habitants du Calcaire ». Elle fait tout cela en souvenir du mari qu’elle avait tellement aimé.

Digression

Pourquoi « tellement aimé » ? parce que l’expression qui vient au plus vite est « tant aimé », qu’on trouve si facilement dans les romans (de gare), dans les chansons (de variété) ou dans le titre de ce film d’Ettore Scola (« Nous nous sommes tant aimés »). Alors je répugne à utiliser la même expression tant usée. « Tellement » peut me fournir un premier élément d’éloignement. Il y a aussi « qu’elle avait aimé si fort », ou une forme plus travaillée : « qu’elle avait si fort aimé ». On peut remarquer que l’accent est passé de « aimé », dans « tant aimé », à l’intensité de cet amour (et non plus l’amour lui-même) dans « si fort aimé » ; parce que la formule est moins usité et donc attire l’attention sur elle.

Fin de la digression, je reprend ma folie imaginative là où j’en étais.

QUELQUES RUPTURES DANS LA NARRATION

Un coup de théâtre : arrive un jeune homme, né d’une aventure du carrier avec une autre femme. Il se fait connaître, mais il a été reconnu par le mari de l’autre femme et ne pourra donc pas prétendre à une quelconque part d’un héritage, n’étend légalement rien pour le carrier . L’ancienne épouse légitime le prend en amitié, lui propose une place dans l’entreprise hôtelière.

Elle peut aussi en faire son ennemi, tenter de ruiner sa vie en inventant des calomnies odieuses. Ou bien le jeune homme vient, prend la femme pour une folle et son projet pour une folie, et s’en retourne sans se faire connaître.

Le carrier, tout aussi bien, pourrait n’être pas mort. Simplement parti, pour une autre femme, pour aller chercher l’aventure dans le commerce d’émeraudes en Amérique du Sud, pôur élever des chèvres miniatures au Sénégal, ou encore faire des études tardives de théologie et rentrer dans les ordres un jour. Il a tout laissé en plan, et singulièrement ce tas de pierres qui devait servir à consolider le sol sous la maison qu’un jeune couple devait faire construire pour y habiter après leur mariage. Le couple attend qu’il revienne finir le travail, il ne revient pas, ils cherchent quelque autre entreprise mais le temps qu’ils en trouvent une ils se disputent, la maison ne se construit pas, ils se fâchent, se quittent, ils ne se marient pas, ne vivent pas heureux et n’ont jamais d’enfants. Point final de leur histoire. Ou bien au contraire ils se marient mais ne construisent pas la maison et à la place achètent un bateau pour faire le tour du monde. Quand ils reviennent, dix ans plus tard, ils ont trois enfants bronzés qui parlent déjà plusieurs langues, ils sont heureux et resplendissant.

VERS LA "RÈGLE DES 3 C"

Autre chose ? un couple de quinquagénaires d’esprit jeune, encore insouciants comme des adolescents, emplis de rêves, viennent chaque semaine dans une voiture bleu faire le plein de ces pierres avec lesquelles ils ornent leur jardin, construisant de drôles de petites tours, maisonnettes, édifices pour lutin, un peu à la manière du facteur Cheval. Leurs amis, l’été, viennent souvent dîner chez eux pour constater l’avancement des travaux et la formidable invention qui est la leur. Un jour le maire du village vient les entretenir et demande s’ils pourraient envisager de faire visiter, bien sûr contre finance, cet étrange domaine qui deviendrait une attraction touristique amenant du monde au village. Mais moi, qui écris, je n’ai pas envie de décider s’ils acceptent ou non, si le maire est une femme, si le terrain est malheureusement inondable, si un poids-lourd rate le virage et vient malencontreusement écraser l’ensemble des petites constructions, si Madame fait quitter à son mari la région pour se rapprocher des enfants, si, si… vous répondrez bien vous-même à ces questions selon vos propres envies. Envies ? peut-être pas, car il ne faut pas oublier qu’il devra toujours y avoir une logique dans le récit, toujours y avoir une cohérence, quelle que soit l’histoire qu’on raconte et le décor que l’on plante. Dans Star Wars, le film, par exemple, tout est faux. Rien de ceci ne peut arriver, toutes les lois de la physique sont piétinées… mais cela fonctionne quand même ! Parce que la cohérence interne est tellement solide qu’elle est indétricotable. Au moins pour les trois premiers films : Episodes IV, V, VI…

Une des personnes qui m’ont le plus aidé dans l’apprentissage de l’écriture m’avait simplement dit ceci : « Ayez toujours à l’esprit la « règle des 3 C » : Cohésion – Clarté – Cohérence.

J’ai découvert au fil des années que cette règle s’appliquait à tous les domaines de l’écriture. La narration, bien entendu, mais surtout l’écriture elle-même. Parfois j’aime remplacer un des 3 C par un autre : Concision, lorsque j’estime cela nécessaire à l’existence des autres C…

Ne manquez pas la suite la semaine prochaine !!!

N’oubliez pas de laisser un commentaire si vous avez aimé, ou si vous avez une question à poser.

Henri-Pierre Juguet

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