EN DOUBLE

EN DOUBLE

Tout ce qu’ici j’écris est vrai, puisque je l’ai totalement inventé !

Je me trouvais je ne sais comment dans une vaste pièce dont tout un mur était fait d’un miroir tout à fait particulier. D’abord il se comportait comme ce minéral qu’on appelle Spath d’Islande, un cristal de calcite pure et transparente qui a la particularité de donner deux fois l’image qui se trouve juste derrière lui. Sauf que ce miroir me renvoyait deux fois ce qui était devant lui, et donc ce qui était de mon côté, à ma portée dans la pièce.

Ainsi je voyais deux fois la table, deux fois la lampe sur la table, deux fois l’étrange boite posée à côté du verre et qui éveillait ma curiosité.

La deuxième particularité de ce miroir était qu’il ne réfléchissait pas tout. Pas la plante grasse sur la table, pas le portemanteau de fer forgé auquel était accroché un étrange vêtement, pas le cahier sur la table.

Et pas moi.

L’effet produit était proprement invraisemblable, il trompait ma vue et troublait profondément mon esprit. Je me sentais mal à l’aise.

Je tentai de bouger pour guetter un embryon de mouvement dans le miroir : je ne me voyais pas bouger.

Je tentai de déplacer un objet sur la table et constatai que la lampe était inamovible. C’est donc la curieuse boite que je changeai de place, et tout fonctionna comme je m’y attendais. La boite du miroir avait bougé de même manière que la boite que je tenais à la main. Je m’approchai jusqu’à la paroi, la touchai précautionneusement du bout du doigt. Je ne me voyais pas, je ne voyais pas mon doigt non plus -pas son reflet- … mais son contact sur la surface déclencha une série de cercles concentriques, comme à la surface d’un plan d’eau lorsqu’on y jette une pièce ou un caillou. La matière réagissait donc avec cette souplesse et cette élasticité. Curieusement cela me rassura.

Que pouvais-je bien faire ici ? et comment y étais-je arrivé ? À un moment j’en vins même à me demander si je n’étais pas, en réalité, mort. Mort et dans une sorte de salle de transit, de salle d’attente. Mais le lieu de transit c’est bien pour aller quelque part, et je ne comprenais pas vers quel « quelque part » je pourrais bien aller à partir d’ici, et la salle d’attente c’est toujours plein de gens qui sont là dans le but de passer avant vous. Et de plus je n’avais jamais cru qu’il y eût quelque chose après la mort !

Je m’approchai de la table pour mieux en inspecter les objets. La lampe était inamovible. D’accord. Mais elle constituait tout de même un indice ! A ce moment il faisait jour, très jour, même, sans que je pusse découvrir d’où venait exactement la lumière. Mais s’il y avait une lampe c’était certainement le signe que ça n’allait pas durer, non ? qu’il allait, à un moment où un autre, faire nuit, ou sombre, et que j’aurai besoin d’éclairage. Pour quoi en faire, je verrai plus tard.

Le verre était assez beau, d’une matière épaisse et transparente. Dans la main il était lourd et solide comme je les aime, inspirant la confiance. Mais aucune bouteille ou cruche à l’horizon. A quoi sert un verre si on n’a pas de quoi le remplir ? Je le reposai.

La table elle-même était recouverte d’un tapis de fin velours blanc. L’ensemble était très gracieux, très épuré, très esthétique.

Et puis il y avait cette boite. Noire, d’une forme peu commune un peu allongée, relevée aux quatre coins, posée sur de minuscules pieds en forme de pattes de lion. Ce devait être du bois, poli, laqué, re-poli, re-laqué. Il aurait pu briller mais étrangement ce n’était pas le cas. Son double reflet dans le mur au miroir (faute de mieux je le désignerai ainsi) ne brillait pas non plus. Je m’en emparai ; qui ne l’aurais pas fait ? et la soupesai. Rien d’étrange. Je la retournais pour regarder le dessous. Elle devint d’un seul coup très lourde, à tel point que j’avais du mal à la tenir. Je la remis à l’endroit : son poids était redevenu raisonnable. Quel mystère était-ce donc là ? A l’intérieur de cette salle rien n’était donc soumis aux lois de la physique ? Je posai la boite, la repris, recommençai l’expérience. Même résultat, c’était déjà ça.

Comme l’aurait fait, j’espère, n’importe qui ans ma situation j’ai tenté d’ouvrir la boite. Mais le dessus n’était pas un couvercle, il ne faisait qu’un avec les côtés. Je retournai l’objet pour inspecter le dessous. Le poids revint et je dû poser la petite boite sur la table, laquelle fit entendre un petit craquement mais ne bougea pas.

En observant finement le fond je m’aperçus qu’il y avait une trappe. Très bien ajustée, si bien ajustée qu’on n’en distinguait qu’à peine le contour. Mais rien qui pouvait faciliter l’ouverture. J’y passais le doigt, doucement. Le bois n’était pas laqué, mais si finement poli qu’il luisait un peu et que la douceur sous la peau était extraordinaire. Machinalement je fis le tour de la trappe avec le bout de l’index et cela déclencha l’ouverture. La trappe se souleva doucement, je reculai la main, et je restai stupéfait : il n’y avait aucun mécanisme, rien d’apparent qui reliât le couvercle à la boite ! Elle se soulevai doucement, comme en apesanteur. Quand elle se fut élevée d’une trentaine de centimètres au-dessus de son emplacement… elle disparut. Simplement elle disparut. Passée la surprise je regardai à l’intérieur. Rien. Vide.

Comment du vide pouvait-il être si lourd ? D’ailleurs, autant vérifier. Excellente idée : la boite ne pesait plus que le poids qu’on pouvait lui supposer en la voyant. Et ceci dans un sens comme dans l’autre. Tout le poids était-il dans le couvercle évanoui ? Et pourquoi dans un seul sens ? Je reposai la boite à l’envers sur la table de velours blanc.

Une fumée commença à s’en échapper. D’abord infiniment légère puis de plus en plus épaisse. Et de plus en plus rapide. Elle n’avait pas d’odeur et je ne comprenais pas de quoi elle se composait. Il en sortit des litres et des litres.

Bientôt toute la pièce fut envahie et la fumée continua d’épaissir, je ne voyais plus rien, même plus ma propre main à cinquante centimètres de mon visage. Une angoisse m’étreignait, une indicible peur de disparaître moi-aussi, avalé par cette brume, englouti dans les vapeurs inodores et de plus en plus opaques.

Et puis un courant. Un courant ferme mais pas violent qui entraîna la fumée vers le côté de la salle où était cet étrange miroir. En quelques secondes toute la vapeur (vapeur ?) s’était rassemblée sur le paroi-miroir… et avait été absorbée. Un spectacle différent m’attendait. Le mur entier était comme un écran, brillant, ne montrant rien sauf des taches de couleur localisées, et partagé en deux par une ligne horizontale plus sombre et d’une brillance différente.

Je commençai à entendre des bruits. Des bruits de voix lointaines dont je ne pouvais distinguer le sens des paroles. Cela venait de partout à la fois mais semblait plus intense vers le mur-miroir. Tout à coup un bras gigantesque apparut, de la largeur du vaste mur et descendit jusqu’au trait qui partageait l’écran, comme s’il se fut appuyé dessus. De l’autre côté de la ligne, au-dessous, il y avait le reflet symétrique de ce bras, comme s’il se fut posé sur un miroir. C’était un bras de femme, reconnaissable aux bracelets qui ornaient le poignet. et la main elle-même prenait la moitié de l’écran. L’effet était proprement stupéfiant. Cette main aurait pu tenir un arbre !!

Le son se rapprocha, les voix devinrent compréhensibles.

« – C’est quoi ça ? Qui réalise cette émission ? Personne ne connait son métier, ici ? (voix de femme)

– Hein ?

– Regarde sur le monitor : on ne voit que ma main et un bout de mon bras ! »

Elle criait maintenant.

– « Bande de nuls ! Personne ne sait régler une caméra ? Ma causerie d’après-midi commence dans trois minutes, rien n’est réglé, on va faire quoi ? »

La main et le bout d’avant-bras et le reflet de chaque bougeaient à chaque parole, secoués par des spasmes de colère, sans doute.

Une autre voix intervint.

-« Arrête de gueuler comme ça, on sait ce qu’on fait ! T’as toujours que des caprices, toute l’équipe en a marre !

– Rien à faire ! T’as vu ce qui est à l’écran ? ma main ! Et comme si j’étais accoudée à un miroir ! Tu trouvez ça beau, toi, réalisateur de crotte ? »

Un silence.

Froid, hostile. Des bruits bizarres, inconnus. Ça pesait de plus en plus.

Et puis une voix :

– » Faut annuler l’émission, il y a un truc bizarre, c’est dans les circuits du mixeur vidéo. Comme s’il y avait une sorte d’intrus, comme si quelqu’un avait rajouté un composant électronique, une puce, je sais pas quoi, c’est pas mon boulot. Ça perturbe le signal, ça l’amplifie, tout est grossi. Une sorte de zoom virtuel énorme, il faut annuler l’émission, je peux rien faire, faut aller chercher une autre régie. C’est pas réparable, ou pas ici. »

Silence.

Je n’entends plus rien, pas même des bruits de fond. Et l’image géante disparaît de l’écran. Un rire énorme retentit et emplit toute la salle. Ce n’est aucune des voix entendues précédemment. Un rire que je trouve sardonique, avec une pointe de méchanceté. Il retentit et fait écho partout à la fois, c’est à la limite du supportable.

Le rire s’arrête, je vois un mouvement, c’est le couvercle de la trappe qui est au fond de la boite laquée noir qui revient à vive allure et qui accélère encore jusqu’à se remettre en place avec un bruit sec qui claque dans l’espace puis résonne longuement.

La voix qui riait annonce :

– « Et pan dans ta gueule ! Tu m’as dit que je connaissais pas mon boulot ? Mais je me barre de ta boite, producteur de mes deux ! Au niveau où je suis, avec mes connaissances de pointe en informatique de l’image, j’en connais des tas qui vont m’embaucher, et avec un tapis rouge, en plus ! »

Il ajoute « Pauvre type ! Bon courage pour reprendre tes émissions ! »

Je reste immobile, sonné. Qui suis-je ? Une résistance ? une diode ? un circuit imprimé miniature ? Un simple électron ?

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