LES AMARRES SUR LA GRÈVE

LES AMARRES SUR LA GRÈVE

Tout ce qu’ici j’écris est vrai, puisque je l’ai totalement inventé 

Il faisait le temps que j’aime, un peu de soleil, un peu gris, un peu frais, mais gentiment.

Sur cette grève il y a des galets roses, noirs, striés de ce blanc si particulier des veines de quartz blanc brillant et comme cassé, comme un peu chiffonné. Il y a aussi des galets rouges et je crois qu’ils sont les restes de briques qui autrefois tenaient les maisons qu’habitaient des hommes, protégeant les femmes, les enfants et les chats.

Et puis ces restes de verre, verre blanc des bouteilles d’alcool ou verre vert des bouteilles de vin, qui sont là par hasard, cassées en mille morceaux sans avoir jamais contenu aucun message de naufragé. Ils sont les témoignages minuscules de soirées de beuverie ou de fête, quand la douceur des nuits d’été incite à parler tard sur le bord de mer, assis sur les rochers, à marée haute quand les vagues noires viennent battre et scander leur litanie sur le rivage, et qu’un petit frisson nous gagne à chaque fois qu’une vague plus forte nous égratigne de ses éclaboussures, parce que personne ne sait qui vit dans la mer, surtout la nuit. Alors, plus tard, dans la lumière du jour, qu’il s’ensoleille ou qu’il s’ennuage, ces morceaux de verre auront pris l’aspect des galets, usés, polis, ou ternis, mais garderons encore sous cette gangue le souvenir des temps de fête.

Je marchais sur les galets, à la recherche d’une coquille ou d’une carapace amusante, à la recherche d’un galet inhabituel, à la recherche d’une vague frangée d’écume bouillonnante plus que les autres; à la recherche peut-être du Trésor du Capitaine qui se serait échoué là, venant des îles bretonnes où il se serait fracassé, une nuit de naufrageurs à l’époque où il fallait bien ne pas mourir de faim.

Je marchais sur cette grève, à la recherche d’une photo qu’il fallait prendre absolument, parce qu’elle serait une sorte d’incarnation de mon esprit du moment, et puis d’une autre pour la même raison, et puis une autre et une autre encore. Jusqu’à prendre les images pour elles-mêmes, sans autre but que la beauté graphique de leur existence.

Je marchais sur la grève et je manquai tomber en me prenant le pied dans un cordage qui barrait la plage, occupé que j’étais à regarder au loin quelque goéland pourchassant un autre goéland pour lui voler un de ces poissons dont la mer abonde. Il lui aurait été plus facile d’en pêcher un lui-même, bien sûr, mais le goéland aime chaparder, préfère chaparder, c’est sa nature. Je vis que le cordage était double.

Et les deux bouts couraient en travers de la grève, rejoignaient la mer à quelques mètres, marée presque haute encore, un peu abandonnés et colonisés tous les deux par les algues toujours opportunistes. Je suivis du regard la direction qu’ils indiquaient. Les deux bouts n’amarraient qu’une toute petite plate.

Une plate c’est une minuscule barque, à fond plat, qu’on utilise pour faire la navette entre le rivage ou le quai et le bateau qu’on a mouillé à quelques dizaines de mètres.

Une bien solide amarre pour un aussi petit bateau.

Je compris que c’était, justement, la petite navette du Capitaine au Trésor, et qu’il était venu déposer son coffre sur cette plage aux galets de toutes tailles et de toutes couleurs.

Les amarres rongées par les algues, où commençaient à s’incruster de minuscules crabes, attendaient le retour du marin qui ne reviendrait pas.

Je regardai autour de moi. La plage était longue, bordée de rochers à son extrémité Est. Voilà, c’était quelque part par là, avec le temps et de la persévérance … Mais je souris en pensant que plus tard, peut-être, je reviendrai, Trésor ou pas, pour humer l’odeur de la mer et de l’aventure. Je tournai le dos et grimpai vers le sentier des douaniers, songeant que sans doute j’étais devenu ce Capitaine. Maintenant je savais où je finirai mes jours.

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