LE FOURBI DANS LE HANGAR

LE FOURBI DANS LE HANGAR

Tout ce qu’ici j’écris est vrai, puisque je l’ai totalement inventé !

Le hangar tenait encore debout par une sorte d’opération du Saint Esprit. Certains diront plutôt par magie, d’autres par hasard. D’autres encore, plus réalistes, diront que c’était juste parce que ce n’était pas encore le moment qu’il tombe. Non pas par une lecture incongrue de la destinée du hangar (la destinée d’un hangar ? vraiment ?) mais parce qu’il restait encore un ou deux bouts de bois non pourris, quelques vis pas totalement rongées par la rouille, et que les lois de la résistance des matériaux sont immuables.

Il tenait donc toujours debout. Mais certainement plus pour longtemps.

Au fil du temps René y avait entassé les objets de rebut, les objets devenus inutiles, ceux qui n’avaient jamais été d’aucune utilité, ceux dont on ne savait pas d’où ils venaient, ceux qui étaient usés au-delà de toute raison. René soupçonnait même quelque voisin peu courageux d’en avoir posé là nuitamment, pour s’en débarrasser plus facilement que les emporter au recyclage. René était même certain de savoir qui venait ainsi encombrer son hangar. Ce recyclage, de toute façon, était d’une autre génération que la leur, une invention pour les jeunes. Ni René ni son voisin indélicat n’étaient jeunes depuis infiniment longtemps.

Pour celui qui aurait eu l’idée étrange de faire l’inventaire de ce bric-à-brac du hangar -et nous lui souhaitons bon courage- voici ce qu’il aurait trouvé.

Douze arrosoirs percés. Quatre de fer blanc, six de plastique vert, un de cuivre (une rareté) et un dernier qui n’était qu’un objet de décoration puisqu’il était en terre cuite. La plupart étaient occupés par des escargots égarés qui partageaient l’espace avec de grosses araignées apathiques. Il n’y avait guère de communication entre les unes et les autres, les deux communautés s’ignorant à peu près parfaitement.

Trois bancs de bois, style bancs d’église. René ne les avait jamais jetés car ils agrémentaient jadis un petit jardin écarté où il emmenait ses conquêtes féminines, puis sa femme au début de leur mariage, puis d’autres conquêtes féminines quelque peu clandestines, puis moins clandestines quand il avait été veuf.

Mais les conquêtes finirent par n’avoir plus la santé, elles se mirent à préférer l’intérieur de la maison, les visites se raréfièrent, René en prit son parti, trouva finalement que sa vie était plus tranquille comme ça, il rangea les bancs définitivement, laissa le jardin s’envahir de ronces, d’églantiers, de fétuques, de sainfouin et d’autres envahisseurs. On n’y pouvait plus pénétrer à présent. De toute façon : qui pourrait bien avoir envie d’y venir encore ?

Un vieux semoir, d’un modèle tellement obsolète qu’il fallait être très au fait des choses du métier pour y reconnaître l’engin.

Cent trente cinq mètres de tuyaux de cuivres, malheureusement en quatre-vingt-sept tronçons environ.

Sept cent cinquante mètres de ficelles diverses rongées par l’humidité, l’usure, les insectes et les bactéries. Et sans doute entortillées de nombreux nœuds indéfaisables. Une farce du voisin ? peut-être. C’était bien le genre du bonhomme.

Six roues de charrette auxquelles il ne manquait plus que les charrettes pour être utiles.

Quatre colliers de chiens aux boucles rouillées. René soupçonnait réellement le voisin car celui-ci avait eu beaucoup de chiens alors que lui-même n’avait jamais voulu en posséder.

Trente-huit kilogrammes de clous rouillés. Il s’y glissait aussi, pour être honnête, deux ou trois kilos de vis et boulons dans le même pitoyable état. Là aussi René soupçonnait le voisin d’avoir tout mélangé.

Pour les quatre-vingt-deux seaux percés René savait que le voisin y était pour beaucoup car lui-même ne pouvait avoir utiliser tous ces seaux. Mais heureusement le voisin n’en ajoutait plus depuis quelques années. C’était une excellente chose, pensait René.

Trois sièges de tracteur hors d’usage, un attelage pour deux chevaux, une demi-charrette sciée dans le sens de la longueur (on se demande comment cela est possible…) et une manière de sulky incompréhensible dans cet endroit. René ne se souvenait pas de l’avoir jamais utilisé. Il pensait à son voisin amateur de chevaux, de courses de chevaux, de paris sur les courses de chevaux et de commerce de chevaux en pleine forme ou pas en forme. Il n’avait pas de preuve, mais réellement de gros soupçons.

Sept chapeaux de paille dont un n’avait jamais été à lui.

Trente et un outils de jardin passablement usés, trois manches peut-être valides pour l’ensemble, un vieux fusil à moitié démantibulé, des bottes de caoutchouc desséchées dont une moitié était vraisemblablement à la pointure du voisin.

Quatre cages à poules, dont trois seulement avaient abrité les pondeuses de René, et c’est déjà beaucoup.

Enfin, dans une fosse profonde de près de deux mètres, comblée de débris de tuiles puis d’une terre argileuse compactée, le corps du voisin.

Là, il avait vraiment fini de m’emmerder ! pensait René….

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Henri-Pierre Juguet

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