LE BOUQUET DE ROSES

LE BOUQUET DE ROSES

Tout ce qu’ici j’écris est vrai, puisque je l’ai totalement inventé !

La rose blanche et les autres avaient été apportées chacune par une personne différente. Celle presque tombée, rouge et tout à droite en bas, ne comptait pas. Elle était déjà là avant.

La rose rouge était le cadeau d’une sorte de prince arabe, un homme d’une élégance raffinée, au manières exquises, à la parole de velours.

La rose blanche venait d’un jardin du voisinage, et le voisin la lui avait offerte parce qu’elle passait devant chez lui en chantant et que le chant était si beau qu’il en avait eu la poitrine emplie d’émotion. Il avait coupé la rose devant elle. C’était un homme âgé à l’œil empli de bonté, alors elle l’avait invité à prendre le café, il avait bu timidement en s’asseyant juste au bord de la chaise couverte de velours, avait lui-même placé la rose dans le vase, était parti assez vite, comme s’il ne se sentait pas légitime.

La rose rose venait d’une amie. De ces amies qu’on voit presque chaque jour pendant des mois, puis qui disparaissent un soir, et malheureusement un soir de spleen, et reviennent avec un cadeau ou un sourire, des mois ou peut-être un an après, une rose blanche à la main. L’amie avait eu un sourire interrogatif, ses grands yeux verts clignaient doucement, et son geste était mesuré. Toutes les deux avaient pris le thé, en bavardant comme si l’absence n’avait jamais existé, oubliée, une simple nuit de sommeil.

Elle refit l’histoire des roses.

Le prince arabe avait dans les gestes une onctuosité qui lui plaisait, de ces mouvements subtils de la main qu’apprécient les femmes, de ces sourires d’une grande douceur, attentifs et patients, qui incitent aux rêves et à l’abandon. Il se dégageait néanmoins de lui une force qu’elle ne savait pas définir, tranquille et immanente, comme le socle de granit poli à l’extrême qui supporterait la plus exquise des figures sculptées dans le marbre blanc. Elle s’était dit qu’elle pourrait succomber à ce charme, à cette douceur solide, mais il resta totalement et poliment distant. Chaleureux avec distance, elle n’eût pas cru cela possible. Il ne vint qu’une fois, et il apporta cette rose solitaire, qu’il tint à mettre lui-même dans le vase dont sa main caressa avec sensualité le poli de la porcelaine chinoise. Elle se demanda quel symbole il pouvait bien se cacher derrière ces gestes, et ne cessa jamais de se le demander car il ne revint pas. Jamais. La seule fois où elle entendit parler de lui est quand elle vit les photos de son aventure avec un mannequin à la mode. Le mannequin était un homme et avait trente-huit ans de moins que lui. Elle poussa un cri de surprise puis un immense éclat de rire. Cela se passait beaucoup d’années après la rose, qu’elle conservait toujours, séchée, dans une longue boite de carton décoré d’une papier à petites fleurs et d’oiseaux copiés de pays où ils flambent de couleurs extraordinaires.

La fleur blanche, celle du voisin jardinier, ne s’est jamais fanée complètement. Elle a séché, les pétales prenant des allures de parchemin très ancien. Une teinte éburnéenne leur était venue qui leur donnait un air de grande préciosité. Ils tombèrent un à un. Elle les ramassa, et quand ils furent tous tombés elle les repassa comme on défroisse un papier de soie un peu chiffonné. Elle les colla chacun sur une carte de Bristol et y écrivit les minuscules billets d’amour qu’elle envoyait à un homme qu’elle connaissait à peine. Quand la rose n’eut plus de pétales elle cessa de lui écrire, tremblante à l’idée qu’elle n’aurait ainsi plus ce bien timide contact épistolaire avec lui, et tremblante de ne pouvoir imaginer plus romantique support pour remplacer celui qu’elle venait d’achever sans jamais avoir eu de réponse. Parfois elle croisait cet homme, rarement. Elle le regardait intensément et lui s’interrogeait sur l’intensité de ce regard. Le voisin, lui, était parti depuis longtemps rejoindre ses ancêtres et le paradis des fleurs.

La rose de l’amie périt en premier. Les pétales tombèrent, presque lourdement, comme s’ils avaient un poids particulier, comme si une pesanteur exacerbée accélérait leur chute. Et la tige, dans le vase, commençait à pourrir un peu, s’entourant d’une gaine déliquescente et bientôt chevelue. Il fallut la jeter, changer l’eau pour préserver les autres fleurs, réarranger le bouquet, et tâcher de ne pas répondre à cette question : « Pourquoi d’abord celle-ci ? » Elle n’y voulait voir aucun signe, et pourtant… L’amie était repartie, Dieu savait où ! Ou bien peut-être le Diable ? Quand on ne croit ni à l’un ni à l’autre il n’est d’aucune importance de se poser la question. Elle l’imagina au-delà des mers, sur une montagne, un grand navire de croisière, à dos de chameau dans un désert brûlant, fumant un petit cigare de choix au bout d’un long fume-cigarette, installée dans le fauteuil de cuir blanc du hall d’un hôtel luxueux, les jambes croisées haut, suscitant les regards des hommes, les vieux jardinier comme les prince arabes.

Ne resta de tout cela que le vase. Porcelaine chinoise, de style blanc-et-bleu.

Bien du temps plus tard, plusieurs années peut-être, entrée doucement dans sa vie sans heurts, ressassant ces souvenirs étonnants, elle prit le vase dans ses mains pour en éprouver la douceur de l’émail. Il n’avait plus jamais contenu de fleurs. Elle le regarda comme jamais elle ne l’avait regardé, et peut-être comme jamais elle n’avait regardé rien. Elle y aperçut, au départ d’une tige des fleurs du décor, bien cachée, la tête grimaçante d’une petit démon.

Elle lâcha le vase qui se brisa au sol et elle s’assit avec un frisson sur une chaise près de la table de bois noir. Elle eut cette pensée : « Tout s’explique ».

Elle nettoya, s’aperçut que le visage grimaçant du petit démon chinois était sur un fragment que la chute n’avait pas pulvérisé. Elle pensa que peut-être ce démon était protecteur ?

Il est à présent, tant et tant d’années passées qu’elle en était devenue une vieille femme, il est à présent posé sur du velours noir, sous une cloche de verre clair, et trône sur la planche du buffet chinois à la laque parfaite.

Il ricane toujours.

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Henri-Pierre Juguet

4 réflexions sur “LE BOUQUET DE ROSES”

    1. Henri-Pierre Juguet

      Merci beaucoup, Dany, toujours heureux de faire plaisir 🙂 J’en écrit 2 ou 3 par semaine en ce moment. C’est amusant 🙂

  1. Bonjour Monsieur,
    J’ai rencontré votre plume par hasard et j’en suis heureuse… Merci pour la poésie, les couleurs, ce regard intime, inédit sur les choses, le monde… On se laisse conduire vers l’essentiel ? Un brin social également et c’est si important aujourd’hui…
    So.

    1. Henri-Pierre Juguet

      Merci beaucoup, je suis très honoré de votre message. Partagez le lien de mon blog, vous me ferez d’autant plus plaisir. Je poste une ou deux fois pas semaine. L’article d’aujourd’hui explique l’écriture de ma poésie. Bien à vous.

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