MAIS QU'Y A-T-IL SUR MES PHOTOS ?
Souvent ceux qui voient mes photos me demandent si j’ai utilisé des filtres, si j’ai beaucoup « bricolé » la photo sur Photoshop (ceux qui posent la question ne connaissent pas forcément Lightroom), ou encore « pourquoi photographier un vieux seau ». Ou une rose fanée.
J’ai eu envie de répondre.
VOIR
Quand je suis en « promenade photo » j’ai l’esprit aux aguets. Mon œil furette sans cesse à la recherche de la moindre chose insolite. Lumière, objet inattendu, objet incongru à la place qu’il occupe, agencement de formes, de volumes, de couleurs. Je ne suis pas un photographe de paysage, je n’y ai pas de goût, et souvent même pas beaucoup de goût à regarder les travaux des maîtres en la matière. Pas non plus un portraitiste ; je laisse cela à ceux qui y excellent bien plus que moi.
Un seau rouillé dans le fossé, un reflet qui cache et montre en même temps, une silhouette surprenante, un vieux gant oublié sur un piquet, les accroches sont si nombreuses, dans mes promenades, que j’ai parfois l’embarras du choix. La meilleure idée étant d’ailleurs de ne pas choisir et de tout prendre. Quand ce sont des objets ils restent généralement statiques, seule la lumière qui les éclaire est susceptible de bouger. Alors on a le temps. Mais la lumière, elle, bouge tout le temps. La lumière est vivante. Alors on n’a pas toujours vraiment le temps.
LA RÉALITÉ - LA POÉSIE
La réalité c’est ce qui est présent à nos yeux, ce qui est trivial, c’est à dire non travaillé, brut, sans fards ni justifications . Elle s’offre à nous, sans cesse, si on ne refuse pas de la voir, si on ne tente pas de la masquer.
Quand mon regard est accroché par le vieux seau dans le fossé, tout moche (mais qui a forcément une histoire) je peux déplorer sa présence parce qu’il est dans le champ lorsque je cherche à photographier la maison qui surplombe ce bord de route. Mais ce qui m’intéresse c’est que ce vieux seau peut également être sujet lui-même. Pour peu que je lui prête attention et pour peu que je m’en donne la peine je peux faire revivre l’espace d’une image ce vieil objet réduit à l’état de déchet. Il me suffit de le regarder différemment. Là où le passant, là où le photographe plus ambitieux regrettera sa présence comme une nuisance, une tache dans son paysage, là je choisirai d’opérer, de montrer ce que généralement on tente d’oublier, de cacher, d’occulter.
Il suffit de regarder pour voir, et de transformer de cette manière le négligeable en objet d’attention. La poésie ce n’est rien d’autre, rien d’autre que de biaiser la réalité pour la faire apparaître autrement, plus visible, plus présente, sous un autre angle. Qu’elle raconte une vieille chaussure abandonnée ou bien les aventures des Dieux. Je raconterai, un jour, pourquoi le Rugby est un sport d’essence poétique.
Mais cela commence forcément par la nécessité de voir. Avec les yeux, le cœur, et avec l’imagination.
LA COULEUR
Rien de plus immédiat, croit-on, que la couleur. Et pourtant !
Il y a l’usage courant des noms de couleur, les couleurs que nous voyons tout un chacun. Et puis d’autres mesures , des chiffres qui donnent une teinte de manière absolue par rapport à l’ensemble de toutes les couleurs possibles. Mais…
Mais comment savoir si vous personnellement vous voyez le violet #A261FA de la même manière que moi ? Ou que la voisine? Peut-être que votre conjoint ou la boulangère voit cette même couleur comme vous vous voyez #A261FB ? Dans ce domaine, qui est celui de la perception, il n’y a pas de valeurs absolues. Toutes les machines capables de traiter la couleur (et à condition qu’elles soient bien réglées) les verront par contre de la même façon : écrans, imprimantes, scanners, videoprojecteurs, etc. Mais pas forcément vous.
Les peintres traitent différemment la couleur : ils la traitent (mais pas tous) de manière plus « psychologique ». Un de mes arrière-grand-pères était peintre. Et quand ma mère, sa petite fille, lui faisait remarquer « Mais, Pépé, tu as peint le ciel tout violet, il n’est pas violet ! » alors le grand-père répondait « Eh bien si ! Moi je le vois violet ! Alors je le peins violet ».
J’ai toujours aimé cette réponse . Moi aussi je pratique la peinture, et cette réponse me convient parfaitement. Elle est dans la logique du peintre.
Mais je suis également photographe et je ne vois pas pourquoi je ne transposerais pas la même démarche dans ma photographie. Sauf photo documentaire nécessitant les couleurs le plus naturel possible, bien entendu.
Je revendique haut et fort cette démarche. Quand je prends ces empilements de chaises le temps est gris, la lumière un peu terne, il pleut presque. Ces chaises qui sont devant moi ne sont pas très colorées, c’est fade. Mais je pense, je sens, qu’elles POURRAIENT être beaucoup plus colorées, en d’autres circonstances. Qu’elles le sont assurément. Alors au moment où je déclenche je sais déjà le post-traitement que j’appliquerai à la photo, afin d’avoir le rendu que je veux, celui que voient à la fois mon imagination et mes yeux… mais pas mon appareil. Exactement comme mon arrière-grand-père voyait son paysage. Pas mon appareil, parce qu’il ne prend que bêtement les données qu’il a devant lui, et bien sûr toujours en RAW, et sans jamais aucun filtre : sinon comment faire ensuite ?
A vrai dire, la photo que je prends est bien celle qui sera la photo d’après traitement, parce que je n’en veux pas d’autre, parce que c’est celle-là que je vois vraiment, dans ma tête, au moment où j’appuie sur le déclencheur. Parce que si je ne savais pas déjà que je donnerai plus tard plus de couleur, et plus vive, plus saturée, à ces chaises… je ne prendrais tout bonnement pas la photo.
On m’a parfois dit que je faisais un travail de graphiste et non de photographe. Je crois pourtant que le travail du photographe est de photographier ce qu’il voit et non ce que voit son appareil. Et moi… c’est bien cela que je vois.
N’oubliez pas de mettre un pouce et/ou un commentaire si vous avez aimé, ou si vous avez une question à poser.
Henri-Pierre Juguet
Totalement d’accord.
Les orpailleurs savent que des paillettes d’or peuvent se cacher dans les alluvions de certaines rivières.
Sous le regard d’Henri-Pierre en revanche tout peut se transformer en pépite, l’invisible, le disgracieux, le bancal.
Il possède cet art étrange de sublimer ce qui de prime abord ne suscite pas l’intérêt, n’accroche pas le regard.