LES POTS SUR LA TERRASSE

LES POTS SUR LA TERRASSE

« Tout ce qu’ici je raconte est vrai, puisque je l’ai totalement inventé »….

Quand je les ai vus, ces trois pots, ils semblaient attendre la venue d’un évènement. Et pour capter l’attention ils s’ingéniaient à produire des couleurs attirantes que la pauvre lumière du soleil d’hiver éteignait pourtant malheureusement.

J’ai cru qu’ils étaient oubliés, tombeaux accrochés à leur balustrade de plantes que la saison avait séchées. Mais leur ténacité à rester là, défiant la morosité du village, leur présence aérienne surplombant la rivière aux eaux froides et un peu sale, ce défi qu’ils lançaient au passant pressé, tout cela fit que je m’y arrêtai un instant. Celui de faire la photo.

Puis leur sort m’intéressa…

Quand je revins plus tard dans le village je m’assurai discrètement qu’il y avait bien un peu de terre dans les pots. C’était facile de monter sur cette terrasse sans se faire prendre par les occupants de la maison parce que les volets était toujours fermés. Impossible de savoir si quelqu’un vraiment habitait la bâtisse. La rouille des garde-corps pouvait laisser croire qu’il n’y avait personne. Je complétai ce qu’il manquait de terre dans les pots, surtout le jaune au milieu. Et puis j’apportai des graines.

Dans le premier pot rouge je semai une armicoflie de Java. C’est une plante qui s’adapte toujours à la taille du pot qui la contient. Les physiciens la diraient liquide, à cause de cette particularité, mais il n’est est rien. Son bois est même parmi les plus durs qui soient. Quand le pot est petit elle développe des racines menues mais peu fragiles, et si on la transporte dans un pot plus grand alors elle fait grandir ses racines. Quitte à revenir ensuite à un système radiculaire plus modeste si on la porte de nouveau dans un pot plus petit. J’en ai vues qui revenait de la taille d’un buisson à celle d’un bonsaï en moins de deux semaines.

Elle ne fait que deux tiges, une courte et une longue. Et chacun de ces tiges ne porte qu’une seule fleur. Le spectacle de ces deux fleurs qui s’ouvrent alors quasiment l’une au-dessus de l’autre est un enchantement pour l’imagination, un délice pour l’œil , une délectation pour le cœur. Elles sont subtilement différentes, mais il faut vivre de longues minutes à les regarder pour en avoir la conscience. Une joie intérieure allume alors un sourire sur vos lèvres.

Dans le second pot rouge, celui de droite, je semai un colitraque basané. J’avais eu beaucoup de mal à me procurer des graines (pour une autre occasion, quelques années auparavant, et j’en avais gardé « au cas où »). Le cas était arrivé. Ses feuilles s’étalent en plaques fines, de la couleur du tabac quand il est sec enfin et qu’on le décroche du séchoir. Mais celles du colitraque sont plus unies et ne présentent pas ces taches sombres qui font des feuilles du tabac une expérience sensorielle parfois étonnante, perdu que l’on peut être dans leur contemplation. Elles sont par contre tout aussi souples et dégagent une odeur plus puissante que vous reconnaîtrez entre mille quand vous l’aurez sentie ne serait-ce qu’une seule fois.

Au milieu, dans le pot jaune, j’ai placé une tige de Gilietta Noire. C’était à cette époque, je crois, ma fleur préférée. Elle poussait au bout de trois ou quatre tiges qui se réunissaient curieusement à leur extrémité et portaient toutes ensembles une grande fleur qu’on eut dite faite de plumes. De belles plumes noires, vaporeuses, agrémentées de taches d’un rouge si vif qu’on peut le croire une goutte de peinture, un vermillon presque agressif. D’aucuns prétendaient savoir à quel oiseau aurait pu appartenir les plumes et accusaient la plante d’avoir dévoré l’animal volant. Mais aucun ne voulut me révéler son secret et je ne suis pas loin de penser qu’ils mentaient délibérément. La plante était superbe, trônant entre les deux autres.

Je revenais souvent dans le village, voir comment mes fleurs poussaient. J’étais très heureux du résultat, elles apportaient à cette terrasse abandonnée une parcelle de vie, de joie, la couleur des belles saisons, et le rire muet des chats qui ne dorment pas.

Un jour, plus tard, quand j’arrivai les volets étaient ouverts, la rouille avait en partie disparu des grilles de fer forgé, un rideau volait au vent, s’enfuyant en fasceyant par une fenêtre grande ouverte.

Mes fleurs étaient là, encore là.

Avaient-elles égayé suffisamment l’occupant du lieu pour qu’il les laissât en paix ? Comme je n’étais pas sûr de la réponse je décidais de n’y plus revenir.

J’aime à imaginer qu’elles y sont encore, toujours dans leurs trois pots. Et y sont toujours depuis toutes ces années, car elles ont toutes les trois une particularité qui m’avait fait les rassembler : elles sont immortelles.

Henri-Pierre Juguet – 15 août 2023

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Henri-Pierre Juguet

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