LES 7 VIES DE MON CHAT
Tout ce qu’ici j’écris est vrai, puisque je l’ai totalement inventé !
J’ai toujours été un peu circonspect quant à cette histoire que les chats auraient sept vies. Surtout que cela pose des problèmes de logique qui peuvent êtres ardus.
En effet, que veut dire avoir sept vies ? Le problème de logique reste le même s’il s’agit de cinq ou de onze vies, soit dit au passage.
Vous remarquerez que je n’ai donné que des nombres premiers, sept étant lui-même un nombre premier et je pense que cela pourrait sans doute avoir une influence. Dans le cas où les chats, bien entendu, auraient sept vies, ou cinq, ou onze. Treize ? je n’y crois pas.
Est-ce que cela, avoir sept vies, voudrait dire qu’ils enchaînent ces vies ? Par exemple le chat meurt et instantanément il se réincarne dans un autre chat qui naît au même instant ? La relativité généralisée, célèbre théorie de Monsieur Einstein, nous enseigne que cette notion de simultanéité n’a pas de sens dans l’univers relativiste. Bon, abandonnons la formulation précédente et disons : le chat meurt et il se réincarne dans le corps d’un autre chat au moment le plus propice permis par les lois de l’Univers. Ainsi tout le monde est content.
Autre réponse : le chat a ses sept vies simultanément. C’est à dire qu’il vit sous sept identités en même temps. Par exemple : celui qui est chez vous en ce moment si vous possédez un chat, celui qui est chez moi en ce moment et qui dort sur le fauteuil de mon bureau, celui qui est dans mon jardin, imprudemment car il ne sait pas ce qui l’attend si d’aventure mon chat à moi le rencontre sur son territoire. Cela en fait déjà trois.
Il est peut-être aussi vivant dans un quartier un peu moche de Tokyo, cherchant quelque reste de poisson au fond d’une poubelle, et aussi ronronnant devant le feu dans une cabane au Canada, sur le seuil de laquelle on trouve des écureuils, aussi sur le toit d’une étrange maison en Allemagne dont les fenêtres sont penchées, la porte d’entrée au premier étage, la vraie porte d’entrée un peu enterrée de plusieurs marches, le toit très haut d’un côté et très bas de l’autre, et le chemin menant de la grille à la maison aboutissant à un mur sans ouverture. Là, on l’appelle la maison de fous, mais il ne faut pas croire qu’il y a vraiment des fous qui habitent dedans. Tout ça n’est que trompe-l’oeil et seuls les rares visiteurs du village se laissent tromper par l’astuce.
Nous voilà à six chats en un seul (ou plutôt un seul chat réparti en six corps) et il en reste un.
Mais je crois qu’on peut arrêter cette énumération, car c’est un animal qui est un peu timide, pas tout le temps, certes, et qui n’aimerait sans doute pas qu’on étale ainsi toute sa vie. Toutes ses vies. Je lui en laisse donc une dans l’anonymat, dans le mystère. Et peut-être que vous auriez des surprises si vous saviez !!!
Pour être franc et ne rien cacher, mon chat est une chatte. Mais cela ne change rien à ce que je vous disais plus haut.
Miquette, c’est son nom, est donc à la fois sept chats, dont elle-même, si on adhère à cette proposition d’explication. Ce à quoi on n’est pas obligé.
Il y a un troisième volet à cette alternative. Peut-être que le chat est un seul à la fois, meurt, ne se réincarne pas tout de suite, mais attend on ne sait où qu’un autre chat qui lui ressemble se mette à naître et d’un seul coup il saute dans son corps. Et ceci autant de fois successivement qu’il sera nécessaire pour bénéficier de ces sept vies que la Nature lui a octroyées.
Je crois que certains d’entre eux arrivent à obtenir une huitième vie, par sournoiserie, manipulation, rapinage, activité dans laquelle ils sont incontestablement de grands maîtres. Je crois que Miquette en est effectivement à sa huitième vie -au moins- car elle semble tout prendre avec un certain recul, une philosophie de l’attentisme, comme si elle avait déjà vécu tout ça et ne se mettait pas martel en tête pour les petits faits du quotidien (les siens comme les miens dont apparemment elle se moque totalement).
J’en étais là de mes réflexions quand je décidai de faire ce qu’il y avait de plus intelligent à faire : lui demander directement ce qu’il en est de ces sept vies. Ce qu’elle me raconta me surprit, comme me surprit qu’elle puisse me le raconter. Mais comme en ce monde rien n’est impossible…
Tout commença pour elle il y a longtemps. Elle était paisible, dans une maison à l’atmosphère feutrée car un grand savant l’habitait et qu’il avait besoin de calme et de silence pour réfléchir, pour calculer, pour construire des théories .
L’homme regardait Miquette (qui avait alors un autre nom) et eut soudain une brillante intuition. Il travaillait alors sur la physique quantique et cherchait comment expliquer à ses contemporains certaine particularité de cette discipline audacieuse à l’époque. Il plaça Miquette dans une boite en carton (il avait percé des trous par en-dessous pour qu’elle puisse respirer) et appela Madame Donnerstroppen, la cuisinière qui faisait chaque jour cuire ses Kartoffeln. Vous avez bien entendu reconnu Erwin Schroedinger. Il lui dit donc, à Mme Donnerstroppen, que l’avatar de Miquette était dans la boite (il la nomma par son nom de l’époque, tout de même) et il demanda si la chatte était toujours vivante. Celle-ci, d’un naturel fort placide, s’était endormie. La cuisinière ne pouvait rien répondre, sauf qu’il fallait ouvrir la boite pour s’en assurer. Schroedinger exulta de joie ! Il avait enfin trouvé la situation qui expliquait ses recherches au grand public. On en parle encore !
Puis Miquette fut mascotte sur un transatlantique, dont c’était le premier voyage. Un bateau moderne, qui était sûr et solide et qui allait battre le record de la traversée. Quand l’iceberg le déchira une femme vit ce pauvre chat qui traînait près des cuisines, le ramassa et le colla dans une valise dont elle ne voulut à aucun prix se séparer. Elle eut la chance d’avoir une place dans un canot de sauvetage, toujours avec sa valise et le chat clandestin, et ainsi Miquette fut le seul chat sauvé lors du premier et dernier voyage de ce magnifique bateau dont le naufrage resta dans l’Histoire.
Deux vies déjà.
Ensuite elle traîna dans une ruelle sombre et malodorante sur laquelle donnaient les cuisines de plusieurs restaurants. Il y avait là les plus belles poubelles du monde, débordant de choses succulentes à demi avariées qu’elle se disputait en de féroces batailles avec les autres chats du quartier.
Puis il y eut un riche garçon d’environ sept à huit ans qui la chérissait plus que ses parents qu’il ne voyait jamais car ils étaient toujours occupés à voyager, à sortir, à danser, à courir les fêtes, à faire des affaires, à faire des affaires pas toujours bien claires, à tenter de filouter gardiens et co-détenus, ensuite, dans les sombres geôles où la Justice les envoya parfaire leur sens de l’honnêteté. En pure perte.
Elle atterrit dans une communauté de gens du voyage et put ainsi visiter beaucoup de villes différentes, mais toujours dans les faubourgs, les terrains vagues, les terrains de sport, les arrières-parkings des grandes surfaces. Elle connut diverses fortunes, des jours fastes en os de poulets à demi-rongés, en poissons sortis de l’eau on ne sait comment, en saucisses que ses propriétaires lui lançaient à travers le campement de caravanes. Ce fut au final une période assez joyeuse et tout le monde était gentil avec elle. Les enfants lui tiraient bien la queue un peu plus que de raison, elle esquivait ou pas une petite pierre de temps en temps, et son habileté incroyable à grimper aux arbres, aux poteaux, ou sur le toit des roulottes lui épargnait les poursuites irrespectueuses et imbéciles des chiens qui suivaient tout ce petit monde. Additionnés des chiens errants furtifs qui tentaient imprudemment et sans se rendre compte de rien de venir dérober quelque reste autour du campement.
La sixième vie de Miquette était partagée avec la mienne. Mais moi je n’en ai qu’une seule et parfois elle me regarde avec un brin de commisération.
Je sais pour l’avoir constaté, qu’elle passe une partie de sa vie avec une petite famille de hérissons. Ils dorment souvent dans le même trou sous la haie, se croisent la nuit ici ou là dans le jardin. Elle y récolte de nombreuses puces.
Elle ne m’a pas beaucoup parlé de sa famille de hérissons et je l’ai laissée tranquille sur ce sujet, chacun sur terre ayant droit à un peu d’intimité et à son jardin secret.
Notre vie se déroule tranquillement, sans à-coups, au gré des jours et des saisons. Les hérissons hibernent, alors Miquette rentre plus souvent passer la nuit à l’intérieur, au moins une fois chaque semaine.
Je crois qu’elle a déjà une idée de ce que sera sa septième vie après celle-ci avec moi. Mais elle n’a rien voulu me dire à ce sujet.
C’est tout de même un peu vexant.
N’oubliez pas de laisser un commentaire si vous avez aimé, ou si vous avez une question à poser.
Henri-Pierre Juguet
Superbe histoire
J’aime beaucoup
On reconnaît tres bien ton style d’écriture
Merci pour ce partage
Merci Isabelle !
Je ne m’étonne pas que tu aimes, avec tous les jolis chats que tu as 🙂