L’ARMOIRE DU CAPITAINE

L'ARMOIRE DU CAPITAINE

Tout ce qu’ici j’écris est vrai, puisque je l’ai totalement inventé !

Les enfants jouaient dans le jardin. Ils en mettaient partout : des jouets, des vêtements. Cela faisait de la couleur.

La maison, légèrement surélevée, était au centre du terrain. Maison basse, de construction moderne, pas très bien finie, murs dont l’enduit avait été blanc mais que différentes sortes d’algues microscopiques et de moisissures noires ou rouges avaient peu à peu colonisés du côté par où venait la pluie et surtout du côté par où ne venait pas le soleil. Une maisonnette avec un petit auvent charpenté de bois qui ne protégeait pas du soleil mais empêchait la lumière de rentrer dans la grande pièce. Celle qui servait de pièce à vivre, celle où j’écrivais, celle où l’on mangeait ou bien regardait en famille les documentaires sous-marins du dimanche après-midi, tous au fond du canapé. Les deux enfants étaient bien jeunes encore et on tenait facilement à quatre dans ce canapé. Dans cette pièce, aussi, les enfants traînaient leurs jouets quand ils en avaient assez de leur chambre et bien sûr il était très difficile de leur faire admettre qu’ils devaient ensuite ranger et tout rapporter chez eux.

Comme chez tout un chacun.

Le jardin n’était pas le jardin le plus beau du monde. Une pelouse plutôt pelée, brûlée l’été, souvent en partie inondée l’hiver, de l’herbe qui poussait comme elle pouvait, sauvage et spontanée sur une terre de groie usée et infertile dont les paysans se plaignaient déjà dans les Cahiers de Doléances de la Révolution de 1789.

Pour que les enfants n’aillent pas se noyer (quand il y avait de l’eau) dans la rivière qui longeait le jardin à une vingtaine de mètres de la maison, ou pour qu’ils n’aillent pas s’y casser le cou en tombant dedans (quand elle était à sec, ce qui arrivait une bonne moitié de l’année à cause des pompages de l’irrigation pour la culture du maïs), pour protéger les enfants j’avais installé une sorte de grillage décoratif coloré qu’on utilise pour les bordures. Le grillage était bien bas mais les enfants étaient si petits… la plus grande des deux ne faisait que commencer l’apprentissage de la lecture et le garçon s’ennuyait à l’école maternelle.

Bien entendu ils avaient trouvé le moyen de contourner l’installation ou de l’enjamber, mais ne s’approchaient pas de la rivière car de grandes couleuvres avaient été aperçues sur la rive. Cela suffisait. La Maman n’aimait pas non plus les couleuvres et ne s’approchait pas plus de la berge.

Ce jour-là il faisait un temps gris et quelques gouttes arrivaient parfois jusqu’au sol. Pas de la pluie, mais un temps à vous faire soupirer en espérant un peu de soleil.

Ce fut une taupinière qui m’inspira. Une taupinière comme je n’en avait jamais vu auparavant et comme je n’en ai plus jamais revu depuis. Au lieu des quinze à vingt centimètres environ qu’elles mesurent habituellement celle-ci devait avoisiner les cinquante centimètres. Je me demandais quelle taupe énorme pouvait bien avoir construit ce monticule. Ou bien toute une famille de taupes ? Ou une équipe de taupes ? J’imaginais un groupe de taupes, avec une sorte de chef de chantier qui dirige et donne des ordres : « Pousse encore, plus fort, sors la terre, creuse plus vite, attention la galerie s’écroule, mais bougre d’âne qu’est-ce que tu fais ? Tu vois pas que tu gênes ? Il est où René ? » Et ainsi de suite. Mais le petit tas de terre me donna une idée.

Je demandais à mon épouse d’emmener les enfants faire des courses. Il n’y a rien à aller chercher ? Pas grave. Un tour en voiture, un croissant à la boulangerie du village, un complément de provisions au supermarché, ce qu’elle voulait. Une heure, juste une heure. Elle embarqua les deux gamins et tout le monde me laissa.

Aussitôt que je fus seul j’allumai le barbecue. J’y plaçai ensuite du bois vert, qui brûle en dégageant de la fumée épaisse. Et chargée. Je cassai un ou deux pots de fleur en terre et une tuile et les plaçai sur la grille. Gagné : au bout de dix minutes ils étaient noircis comme s’ils avaient subi un incendie. Je les portai près de la taupinière géante.

Traînaient dans le jardin deux ou trois os blanchis, souvenir de quelque pot-au-feu. Souvenir pour le chien, bien sûr, parce que nous ne les gardions généralement pas comme souvenir pour nous-mêmes. Je gravai rapidement dessus quelques signes cabalistiques que j’emplis d’encre de Chine indélébile. Ils rejoignirent les débris de pots et de tuile.

Une vieille boite de je ne sais plus quoi en forme de coffre de pirate et décorée de même manière me servit pour la suite. J’y plaçai quelques pièces étrangères, un petit miroir décoré, des babioles sans valeur mais qui « faisaient vieux ». Je complétai avec quelques bijoux de pacotille en cuivre émaillé que j’avais fabriqués de nombreuses années auparavant, une médaille en faux bronze avec la tête de Victor Hugo et mon trésor était complet.

J’enfouis le tout au fond de la taupinière géante, sans trouver de taupe géante, ni même d’équipe de taupes normales. Je reconstituai le monticule et passai à la deuxième partie de la préparation. Il ne restait plus qu’une vingtaine de minutes.

J’avais gardé quelques feuilles d’un papier épais, parcheminé, à l’aspect vieilli, protégé de l’humidité par je ne sais quel traitement de fabrication. Sur le premier, à l’encre de Chine, je dessinai le petit groupe de trois bouleaux qui ornait l’arrière de la maison. Avec bien entendu la maison elle-même, en trois coups de plume mais de manière à ce que les enfants puissent la reconnaître. Sur le deuxième je dessinai le petit frêne pleureur qui était sur le côté et que nous appelions « l’arbre-cabane » parce qu’il était facile et amusant de s’y cacher avec les enfants. Chaque soir, quand je fumais ma dernière cigarette de la journée, j’en faisais plusieurs fois le tour. Et à chaque tour le chat sortait pour m’attaquer les jambes, toujours du même trou entre les deux mêmes branches, et s’en retournait aussi vite se cacher dans l’arbre-cabane. Un rituel.

Je noircis un peu les bords des papiers à la flamme. Je ne sais pas ce qui enduisait le papier mais c’était avec une flamme un peu fuligineuse qu’il brûlait.

Je roulai le premier « parchemin » dans du papier aluminium, pour l’isoler de la pluie qui peut-être tomberait un peu, et allai l’enterrer sous le grand cèdre encore en devenir qui était presque devant la maison. Je laissai dépasser du sol le rouleau afin qu’il fut bien visible et intrigant…

Le deuxième fut enterré sous les trois bouleaux, toujours dépassant un peu. Le troisième et dernier, car il y en avait un troisième, fut à peine enfoui sous l’arbre cabane. Il était temps, la voiture avec tout le monde revenait. Le temps n’était pas pire qu’au départ mais j’inventai que la pluie allait bientôt tomber et qu’il fallait ranger les jouets. D’urgence. Il fallu se fâcher un peu, forcément, et singulièrement pour débarrasser le dessous du cèdre. La fille revint bientôt, suivie de son frère trottinant, en agitant le rouleau de papier aluminium. « On a trouvé ça, c’est quoi ? » Je lui fis dérouler la trouvaille. Perplexité. On reconnut la maison, puis les trois arbres. J’avais dessiné des flèches indiquant le parcours : vers les trois bouleaux. Ils hésitaient un peu à aller chercher dessous mais se firent traiter de mauviettes et finir par aller chercher le deuxième rouleau de parchemin. Ils ne voulurent pas l’ouvrir eux-mêmes, impressionnés.

On reconnut l’arbre-cabane et on rapporta le dernier rouleau après quelques négociations. Cette fois je dus le déterrer moi-même. Sur celui-ci on devait revenir au cèdre puis il y avait des pas à compter dans une direction. Le monde est bien fait : la direction passait par la taupinière géante et le nombre de pas (qu’il fallut ajuster…) nous faisait tomber pile sur cette taupinière. Aucun des deux ne voulut creuser, ni la fille d’habitude assez intrépide, ni le garçon d’une grande curiosité. Cette taupinière hors norme les intriguait depuis quelques jours déjà et maintenant elle était la cible d’un parcours mystérieux ? Ah…

Papa a donc creusé. Il avait d’ailleurs déjà préparé une pelle juste à côté.

On trouva les tessons noircis, les os avec les écritures incompréhensibles, la boite en fer. Ce fut encore le Papa qui ouvrit la boite, les enfants jugeant sans doute que c’était plus prudent, on sortit le trésor et on l’étala d’abord par terre puis on l’apporta sous l’auvent, sur la table de jardin. Yeux écarquillés, un certain silence étonné, une réserve curieuse mêlée d’inquiétude. Mais le frisson d’une aventure…

« Mais d’où ça vient ? »

Papa avait la réponse, bien sûr !

C’était un Capitaine corsaire français qui avait réussi à s’emparer du trésor d’un galion espagnol. Mais il avait été pourchassé par les Anglais, fait prisonnier, et emmené loin. Au dernier moment, juste avant d’être pris, il avait eu le temps d’enterrer ici une partie de son butin et laissé des parchemins pour le retrouver plus tard. Les débris, les os, le coffre et son contenu devinrent « Le Trésor du Capitaine ».

Les enfants venaient juste de changer de lit, un beau lit à couchettes superposées. Il y avait bien entendu eu bagarre pour l’obtention de la place du haut. Leurs anciens lits étaient deux espèces de coffres rectangulaires que je leur avais confectionnés. Un peu comme les lits simplifiés des nains dans l’histoire de Blanche-Neige. Mais voilà ils avaient grandi (un peu) et dormaient maintenant dans de « vrais » lits de grands… Les petits lits étaient sans usage.

Je pris celui du garçon, plus facile à transformer. Je le dressai, démontai les pieds et les fixai sur ce qui était maintenant le bas du meuble. Tous les trois on peignit l’ensemble, le faisant passer de bleu à noir. Je taillai quelques bouts de planches, fixai des tasseaux, posai les planches dessus : nous avions les étagères. On vernit les étagères.

Quand le vernis fut sec on les couvrit d’un papier glacé noir, je fis des étiquettes (les vingt-quatre heures écoulées ne leur avait pas permis d’apprendre à écrire encore) et on installa le tout dans leur chambre : meuble, étagères, objets, tessons, os. On avait maintenant un « Musée du Trésor du Capitaine ».

Il y eut quelques variantes d’appellation : « L’armoire du Trésor du Capitaine », puis « l’Armoire du Capitaine ».

Trente années plus tard je l’ai toujours. C’est toujours « l’Armoire du Capitaine ». Elle n’abrite plus le Trésor, dont il ne reste pas grand chose, mais j’y pose les dictionnaires avec lesquels je travaille, quelques livres en ancien français, et sur le dessus une partie de mes flûtes. Elle m’a suivi partout et je ne crois pas que je pourrai jamais m’en séparer.

J’envisage de la repeindre bientôt. En noir, comme à son origine, et comme il sied pour l’Armoire d’un Capitaine de Corsaire !

P.S. : on ne voit pas bien, mais sur la photo au milieu le petit enfant est mon propre père et la vieille dame qui le tient à la main est son arrière-grand-mère. Cela date ! Cette dame, mon ancêtre, était née au milieu du XIXème siècle….

N’oubliez pas de laisser un commentaire si vous avez aimé, ou si vous avez une question à poser.

Henri-Pierre Juguet

2 réflexions sur “L’ARMOIRE DU CAPITAINE”

  1. J’ai adoré ! C’est une histoire vraie, celle-là ou tu l’as inventée ?
    Perso je me dis qu’elle te va bien, donc qu’elle doit être vraie !

    Tu vois, j’ai fini par te trouver chez WP. Pas simple, mais je suis têtue !

    Je viens de faire une grosse cession de transformations dans mon site (que WP a « mangée » hier, alors que je venais de terminer… Le tout m’a valu une nuit blanche, pour comprendre, chercher la solution, remédier. Maintenant, j’espère surtout que WP ne fera plus de mises à jour assassines qui ne pardonnent pas les fautes d’orthographe. Je t’épargne les détails…)
    Or donc, mon site a changé. Et je me demandais si tu voudrais bien y faire un tour et me dire comment tu trouves !
    Il y a encore bien des petits bugs, je n’ai pas refait toutes les mises ne page qui ont souffert du changement d’éditeur, mais l’un dans l’autre, je pense qu’on s’y balade mieux.
    Mais voilà, c’est moi qui l’ai fait, je n’ai pas le recul, et tout avis extérieur me sera bénéfique.
    Si lors de ta (tes) visite(s) tu trouves l’un bug ou l’autre (liens morts ou pages 404, mises en pages assassines etc) merci de me les signaler. Il en reste tellement…

    J’espère que tu vas bien, que la vie est belle, que cette fin d’année s’annonce agréable… Et je te souhaite tout le meilleur pour la suivante, si on n’a pas de contacts d’ici-là !

    Grosses bises très pluvieuses et à bientôt
    Jeanne

    1. Ah mais c’est indiqué : « Tout est vrai… puisque je l’ai totalement inventé » Rires.
      En vrai, et pour une fois, tout est vraiment totalement vrai de chez vrai. L’histoire a déjà pas loin de 30 ans… On en parle encore parfois…
      Pour le reste je t’ai envoyé un mail.
      Bises

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